Avant de commencer, merci d’avoir rejoint cette newsletter. J’avais dit que je la commençais et que je vous offrais une formation si on atteignait 500 abonné·es.
On a pas réussi à atteindre l’objectif puisqu’on a fini à 301.
Alors j’ai cherché une autre formule.
J’en ai trouvé une que je veux expérimenter avec toi : un email hebdomadaire à la place de l’email premium. Pendant un mois. Et après on voit si on maintient ou pas.
Ceci étant dit c’est parti.
Ça fait 9 ans que je suis formateur professionnel. Bientôt 12 ans depuis ma première expérience de prof (j’enseignais le français en Pologne).
Pourtant je ne m’étais jamais formé sur mon métier avant cette année. Certes, j’avais lu des livres, regardé énormément de conférences… mais je n’avais pas suivi de formation.
Or, si je suis formateur c’est bien que je crois en la puissance de la formation.
Le problème c’est que je ne trouvais jamais rien de bien. Jusqu’au jour où je suis tombé sur cette newsletter :
Et là…
RÉVOLUTION.
Quelqu’un qui parle de pédagogie non pas avec son intuition mais en se reposant sur la science.
Et quand je dis la science c’est la science de la pédagogie. Non parce que j’ai toujours été sceptique devant les spécialistes de neurosciences.
Un jour j’ai compris pourquoi quand quelqu’un m’a dit :
Ecouter les neurosciences pour apprendre la pédagogie c’est comme écouter la podologie pour apprendre le foot.
C’est pas inutile. Mais c’est pas LE truc incroyable qu’on nous vend dans les médias.
Ne parlons même pas des contenus qui s’ancrent dans des contenus scientifiques caduques comme les styles d’apprentissage.
Tu sais le truc comme quoi y’a des gens qui apprennent avec le visuel, d’autre avec l’auditif, d’autres avec le toucher.
Alors, pour ma part j’ai toujours trouvé cette hypothèse absurde. Alors j’ignorais. Puis, en m’y plongeant sérieusement j’ai découvert que la science avait invalidé cette théorie. GPT le résume bien :
Consensus scientifique
La recherche en psychologie de l'éducation a largement remis en cause l'efficacité de cette approche.
De nombreuses études n'ont pas trouvé de preuves convaincantes que l'enseignement adapté aux styles d'apprentissage auto-déclarés des élèves améliore réellement la performance d'apprentissage.
Les chercheurs ont souvent critiqué la méthodologie des études qui soutiennent les styles d'apprentissage, citant le manque de rigueur scientifique.
Pourquoi la théorie persiste-t-elle ?
Intuitivité : L'idée que les gens ont des préférences et des forces différentes est intuitive et attrayante. Elle suggère une personnalisation de l'enseignement.
Commercialisation : Il y a eu une forte commercialisation des tests de styles d'apprentissage.
Simplicité : La théorie offre une explication simple pour les différences complexes dans l'apprentissage entre les individus.
Ne parlons même pas des trucs vraiment farfelus comme les individus à cerveau droit dominant (rationnels) et ceux à cerveau gauche dominant (émotionnels).
Le mythe de la dominance des hémisphères cérébraux n'a jamais été soutenu par un consensus scientifique solide dans sa forme populaire. Cependant, la recherche initiale sur les fonctions spécialisées des hémisphères a été correcte. Le mythe résulte de l'extension et de la distorsion de ces découvertes au-delà de ce que les preuves soutiennent.
On est tellement pollué·es avec ces trucs faux que j’avais abandonné l’idée de m’éduquer à la science de l’éducation.
Et c’est là qu’une formation est puissante. Non seulement Philippa Hardman (la formatrice) nous a montré une méthode puissante mais elle nous a surtout partagé sa bibliographie.
Depuis… j’ai découvert un continent.
Tu sais comme quand il te manque juste un mot-clé pour découvrir les livres qu’il te manquait sur un domaine. Mais qu’avant ça tu savais même pas quel mot-clé taper.
Je structurais mes cours au feeling
Voici un exemple simple : je décidais de l’ordre de mes formations à l’intuition.
Par exemple dans mes formations sur comment rédiger des offres d’emploi, je commençais par une séquence où les apprenant·es devaient prendre une annonce de chez eux et une annonce d’un concurrent puis faire un tableau des points positifs et négatifs de chaque annonce.
Pourquoi ? Parce que. Pourquoi pas ? Je sentais que ça marchait comme point de départ de discussion : zéro théorie, directement leur demander un avis dans une activité assez ludique.
Dans mes formations sur l’entretien, je commençais par de la théorie. Totalement l’inverse.
Mais pourquoi ?
Parce que. Pourquoi pas ?
Après tout, ça marchait.
La taxonomie de Bloom
La taxonomie de Bloom est un outil qui permet de savoir dans quel ordre orchestrer son contenu pédagogique. Si y’a un seul truc à retenir dans la construction d’un contenu pédagogique c’est ça.
Au point que je retrouve désormais ce concept dans tous les bons livres sur la pédagogie. Je le vois même désormais dans la pratique d’autres profs autour de moi. Qui d’ailleurs ne connaissent même pas l’outil mais l’appliquent intuitivement.
Alors qu’avant vraiment ça m’était invisible. En même temps :
Difficile de prime abord de savoir par où commencer pour « changer son cours ». Peut-être rajouter une question ici, suivie d’une discussion entre étudiants, ou alors proposer une question en début de séance…
Il n’est pas évident de remarquer que l’ordre dans lequel on déroule une séance de cours influence la motivation des élèves, leur capacité à retenir de nouvelles informations, ou leur assimilation des concepts-clés.1
Mon intuition m’a permis de découvrir par moi-même certains concepts clés de la recherche comme par exemple où se mettre debout dans une classe. Mais elle ne m’a pas permis de comprendre pourquoi je mettais telle chose dans tel ordre.
Pire encore : je ne pensais pas que l’ordre pouvait avoir un impact si fort sur l’apprentissage !
Comment fonctionne la taxonomie de Bloom ?
C’est une classification en six niveaux :
Mémoriser
Comprendre
Analyser
Appliquer
Évaluer
Créer
La boussole est simple : ton cours, ta formation et même ton année de cours (si tu as des élèves toute une année) doit être organisée de manière à aller du plus petit au plus grand niveau.
Les niveaux un peu plus en détail
#1 | Mémoriser : c’est tout ce que peut faire quelqu’un qui fait du par coeur. Donc recracher.
Exemple : je me fixe pour objectif pédagogique que tu sois capable à la fin de l’heure de me réciter les 6 niveaux de Bloom, dans le bon ordre.
#2 | Comprendre : c’est non seulement pouvoir faire le par coeur mais être capable de comparer des choses entre elles.
Exemple : je veux que tu sois capable à la fin de l’heure suivante d’expliquer à quoi sert cette taxonomie de Bloom. De comparer une formation qui ne la respecte pas avec une formation qui la respecte.
#3 | Appliquer : c’est pouvoir utiliser la connaissance dans une situation inédite
Exemple : je veux que tu sois capable à la fin de la troisième heure de prendre un plan de cours qui ne respecte pas l’ordre de la taxonomie et de le réorganiser de manière à le respecter.
#4 | Analyser : le niveau où on peut carrément déconstruire le concept en petit morceaux et même le critiquer. Ou en faire la synthèse complète.
Exemple : je veux que tu puisses, à la fin de la cinquième heure, trouver les défauts de la taxonomie
#5 | Evaluer : là tu peux dire quand le concept est bien ou mal appliqué. Tu peux aussi le défendre dans un débat.
Exemple : à la fin de la septième heure, tu peux aller à la télévision débattre de l’utilité de la taxonomie de Bloom avec quelqu’un qui te dirait que ça sert à rien
#6 | Créer : le niveau où tu produis une pensée ou un travail original
Exemple : à la fin de la onzième heure, tu peux créer un cours de A à Z en suivant la taxonomie. Ou alors tu peux la changer légèrement pour la faire à ta sauce.
Un exemple réel
Pour utiliser la taxonomie, il faut déjà que ton contenu soit subdivisé en séquences avec un seul objectif. Si ce n’est pas le cas pas de panique, c’était mon cas aussi. Mais on verra ça une autre fois.
Admettons donc que mes journées de formations sur l’annonce comprenaient 5 chapitres.
Encore une fois ce n’était pas le cas : elles étaient bcp plus bordéliques.
Voilà à quoi ça ressemblait :
Tu vas Lister les trucs à ne surtout pas faire dans une offre d’emploi, à partir d’un corpus d’exemples de mauvaises annonces
Tu Éditeras une annonce existante pour en améliorer la lisibilité. En aérant, mettant du gras, réécrivant les phrases floues, etc.
Tu Concevras de A à Z ta promesse employeur (3 bénéfices, 3 preuves) sous forme d’un blason dessiné afin de pouvoir te positionner sur le marché.
Tu Découvriras ce que les candidats veulent vraiment, par ordre d’importance, afin de choisir consciemment à quels besoins ton organisation peut/souhaite répondre.
Tu vas Analyser la structure d’une annonce bien structurée afin de comprendre comment on rédige des structures qui améliorent les taux de retour de tes annonces
On va désormais classer chaque objectif dans le niveau de Bloom correspondant.
Pour y arriver il suffit d’aller chercher n’importe où sur le web la taxonomie avec toutes les variations de verbes. Par exemple le niveau 1 - mémoriser tu auras les verbes suivants : Lister, Articuler, Définir, Découvrir, Examiner, Commenter, Écouter, Regarder, Identifier, etc.
Voilà un exemple d’inventaire des verbes par GPT :
Dans mon cas ça donne ça :
On voit que ce n’est pas du tout dans l’ordre ! J’appuie donc sur trier par la colonne (d’où l’intérêt de l’avoir fait dans un tableau) et ça me donne le bon ordre :
Tadaaaaa !
Alors je dois t’avouer que j’étais sceptique au début. Notamment parce que j’aimais beaucoup à avoir mon exercice où ils dessinent un blason au milieu. Parce que ça les mettait bien en jambes pour la suite et puis que ça respecte l’ordre du processus. Dans la vraie vie ça serait pas mal qu’ils commencent par faire ça avant le reste.
Mais pédagogiquement c’est bien que ça soit tout à la fin. Je m’en suis rendu compte en essayant. Ne serait-ce que parce que plus la journée avance, plus les gens fatiguent et plus un exercice de création va les réveiller et les dynamiser. J’obtiens également des rendus de bien meilleure qualité car je leur demande de créer après avoir vu tout le reste des notions.
Quelques remarques pour finir
Comme tu peux le voir dans mon exemple, tu ne dois pas forcément utiliser les 6 niveaux. Tu peux également avoir plusieurs “chapitres” dans le même niveau. Déjà si tu as une longue séquence (un cours à l’année) tu n’auras pas le choix. Mais même sur un truc plus court, tu fais comme tu veux.
La seule recommandation c’est d’aller globalement dans l’ordre.
Tu peux très bien faire uniquement du niveau 1 et 2, ou uniquement du 5 et 6. Ce qui est déconseillé c’est de commencer par du haut niveau, puis faire du bas et ensuite refaire du haut.
Mais on fait quoi quand on a plusieurs du même niveau pour savoir lequel va dans quel ordre ?
Bonne question. Pour l’instant, continue de le faire à l’intuition. Je te montrerai comment faire une autre fois, ça fait déjà beaucoup pour un email.
Enseigner et former - 2e éd. : Psychologie appliquée et pédagogies actives, secondaire, supérieur, formation professionnelle - Jean-François Parmentier, Quentin Vicens
Qu'est-ce qui justifie l'utilisation de la taxonomie de Bloom autre que son côté intuitif, le fait qu'on en parle partout et sa simplicité ?
Ça fait du bien que la pseudo-neurologie soit mise de côté, mais je n'ai pas non plus trouvé de recherche qui montrait que cette taxonomie donnait de meilleures résultats auprès des élèves (c'est probablement le cas, je n'ai juste pas trouvé).
Super intéressant et très bien expliqué !
Merci !!
Et du coup, est-ce que tu vas aussi nous partager une bibliographie ?